Regard bleu. Beau gosse. Visage émacié. Bouche édentée. Paroles rapides, parfois hésitantes, parfois en rafale. L’écouter ? Pas facile. Il saute d’une idée à l’autre. Il en a trop à dire.
D’abord, il a la haine. Il a de la révolte. Ça déborde. Contre les éduc’, contre D, contre telle ou telle institution. Il leur rentrerait volontiers dedans. Sans doute l’a-t-il fait d’ailleurs. Et ça n’a rien arrangé. Incompréhension réciproque. Quand on ne s’écoute plus, on s’exclut mutuellement. Lui, il a l’habitude de voir très vite si vous l’écoutez. C’est visuel. « On voit le visage », dit-il. « Pourtant, vous ne pouvez pas savoir combien j’ai besoin de communiquer. Mais avec certains, c’est pas possible. » Il a fait des conneries. Il le sait et il vous le dit. Mais on n’en parlera pas trop. Tout juste de la drogue « où on s’enfonce et on se perd. » Il en est sorti. Difficilement.
Ce qui est intéressant ? C’est les copains qu’il s’est fait dans la rue. « Même certains éduc’ » reconnaît-il. Son meilleur ami ? « Un clodo, handicapé de la tête. » Personne ne lui parlait. Il l’a fait et ils se sont aidés. Il fait partie de ceux qui l’ont le plus aidé. Comme ce musicien avec lequel il a longtemps fait la manche. « Avec lui, tu vois, le 25 décembre, on jouait pour les gens sans rien leur demander. » Ou cet autre vieux routard qui lui a tout appris. Il lui a forgé le caractère. « Tu fais ce que tu veux », lui disait-il souvent, « mais il faut toujours aider les autres. » Telle était sa philosophie qui est devenue celle de Fred. « Car pour beaucoup de gens de la rue, ils gardent en eux leur haine et leur révolte. Leur honte parfois. Ils se ruinent pour oublier. Alors ils se défoncent à l’alcool ou à la drogue. Ils ont besoin de communiquer. Ils ont besoin d’un regard qui reconnaisse leur dignité. »
De son histoire personnelle, nous ne saurons pas grand-chose. Pudeur de part et d’autre. Gosse de riche. B.T.S. « Mais, à 15 ans, je savais que j’allais être dans la rue. » Perte de deux personnes très chères. Depuis, il a fait deux fois le tour de France. Il est même allé jusqu’en Espagne. Il est ici à Dunkerque depuis plusieurs années. Aujourd’hui, il hésite à s’arrêter. Quand il le fallait, il travaillait. « Ne pas travailler, c’est se laisser aller », affirme-t-il. Il paye des impôts. C’est même cela l’une des sources de ses révoltes. Nous le verrons le mois prochain. « Mais, ajoute-t-il, il faut du temps pour sortir de la rue. Je ne sais pas encore. Ça va mieux dans ma tête. Mais je suis encore perdu. Ce que j’aimerais, c’est devenir éducateur. » Sa peur ? « Ne plus connaître les gens d’avant, ne plus communiquer, se retrouver seul. » Et puis, il y a l’appel du voyage et de la liberté. L’appel de la rue.